Un autre regard : le projet d'une entreprise en phase avec son temps (publié dans l'Hippocampe 108 de décembre 2020)
C’est un principe auquel je suis resté obstinément accroché depuis le début. Il est vrai que cela m’a valu quelques changements de direction. Ingénieur ferroviaire, consultant en management, globetrotter de la Tech (voir l’article dans l’Hippocampe 95 de septembre 2017), sport scientist, et aujourd’hui acteur de la Santé. Ce parcours changeant et hésitant n’en reste pas moins une succession d’expérimentations qui m’ont permises de toujours vivre mon expérience professionnelle à 200% (100% par engagement à ce que je fais + 100% pour combler mon inexpérience), et de jouer aussi un peu à l’explorateur.
C’est d’ailleurs le défi que nous nous sommes fixés en lançant avec mes associés médecins et ostéopathes, la société Numa Health pour laquelle je m’occupe de la partie Produit et Développement technologique. Ensemble, nous nous sommes promis de défricher un espace inexploré par le médical, et pourtant si important pour notre santé à tous : la capacité du corps à s’adapter. Pour les sportifs, il s’agit du B-A-BA de l’entrainement, mettre à l’épreuve son organisme pour le forcer à s’adapter et devenir plus performant. Pour les patients, il s’agit de la raison de leurs troubles, leur corps n’a pas su s’adapter correctement pour faire face à une menace.
La santé n’est pas qu’une affaire de maladies
La première particularité de cette capacité d’adaptation est qu’elle est très différente d’un individu à un autre. C’est d’ailleurs le constat malheureux des services hospitaliers de réanimation face au COVID19. En dehors des comorbidités d’âges, de surpoids ou encore d’antécédents cardiovasculaires, le risque de dégradation des patients apparaissait très aléatoire avant que l’on ne finisse par pointer des marqueurs de la qualité de l’adaptation de l’organisme. De là, nous avons d’ailleurs lancé une étude avec le Groupe Hospitalier de La Rochelle visant à déterminer les profils à risque dès leur admission et potentiellement plusieurs jours avant l’apparition d’une forme sévère de la maladie.
Plus généralement, nous travaillons justement à révéler les atouts et les faiblesses de la capacité d’adaptation de chacun, qui d’un point de vue nerveux, hormonal ou immunitaire, engendrent souvent des réactions visibles, tels que des plaques, des tremblements, des migraines, des troubles du sommeil… Des phénomènes que l’on associe communément au stress, et pour cause, d’un point de vue physiologique, le stress ne cesse de mettre à l’épreuve cette capacité d’adaptation, qui parfois s’en trouve dépassée. Y prêter attention constitue pour nous le préalable à un amélioration durable de l’état de santé au sens large (il ne faut pas nécessairement être malade pour ne pas être au mieux !). Sans pour autant inciter les personnes à renier leurs médecins traitants, nous développons pour les patients et les curieux, une analyse qui détaille l’ensemble des équilibres que leur organisme respecte plus ou moins bien pour être le plus efficace dans son adaptation.
Pour les lecteurs les plus curieux, nous nous appuyons sur des corrélations entre plusieurs biomarqueurs sanguins (hématies, hémoglobine, leucocytes, plaquettes…). Ces derniers sont habituellement observés individuellement, et comparativement à des seuils pathologiques suffisamment larges pour ne faire ressortir que des dysfonctionnements majeurs. À l’inverse, nous étudions ces marqueurs les uns vis-à-vis des autres, avec des seuils suffisamment fins pour révéler des déséquilibres mêmes mineurs.
Que dirait-on d’un brasseur si celui-ci ne pouvait mieux décrire sa bière que par sa composition ? En omettant les équilibres en amertume et acidité, en omettant tout le processus de fabrication « sur mesure » de chaque bière…
Ces relations entre biomarqueurs, nous les rapprochons des principes de fonctionnement de l’organisme, résumés dans un modèle complexe de l’adaptation physiologique, pour pouvoir interpréter la nature des déséquilibres et leur origine probable.
Pour un ingénieur d’aujourd’hui, il serait tentant de renforcer les analyses par de l’apprentissage automatique, et c’est probablement une piste à étudier au sein de notre plan de recherche et développement. Pourtant, bien que le Machine Learning puisse trouver plus de corrélations, le modèle déterministe que nous utilisons dispose d’atouts de taille.
Premièrement, il a le mérite d’être basé uniquement sur des raisonnements décrits et connus, ce qui nous laisse envisager pour chaque déséquilibre des solutions adaptées non-nécessairement testées dans chaque combinaison de marqueurs. Deuxièmement, il ne nous demande aucun jeu de données préalable pour entrainer nos algorithmes à être juste et précis. Cela correspondrait à une quantité de données immense, dont notre jeune startup ne dispose pas évidemment.
Innover en santé c’est sortir du médicament
La deuxième particularité de cette capacité d’adaptation est qu’elle est très malléable, c’est-à-dire qu’elle peut être aussi bien dégradée que rétablie. C’est d’ailleurs tout l’intérêt de s’y attarder, car contrairement à la génétique, il est possible d’agir individuellement pour aider cette capacité que l’on peut qualifier d’auto-guérison. Sans parler même de médicaments, l’exercice physique, la méditation, l’alimentation sont déjà un pas vers l’amélioration de la capacité d’adaptation.
C’est aussi souvent un prérequis, puisque changer ses habitudes permet de se défaire d’un mode de vie néfaste (sédentarité, perturbateurs du cycle nycthéméral, régime carencé…) permet aussi d’ancrer durablement de bonnes pratiques et des garde-fous en matière de prévention. Certaines préconisations sont génériques, elles n’en restent pas moins parfois la pièce manquante à notre bonne santé. D’autres préconisations peuvent être plus spécifiques à l’individu. La méditation et l’exercice physique ont tous deux été corrélés à une meilleure gestion du stress, mais tout le monde ne « répond » pas aussi bien, et certaines personnes bénéficieront plus de la méditation, quand d’autres plus de l’exercice physique. La différence est psychologique (effet placebo) et physiologique (les mécanismes mis en œuvre sont différents).
Et de manière plus directe et plus ciblée, la phytothérapie obtient de très bons résultats. Difficile certes de se faire entendre auprès de la communauté médicale en portant cette thérapie dite « alternative », mais elle reste une solution efficace. D’ailleurs, beaucoup de cas, les plantes ont des effets sur des déséquilibres là où aucun médicament n’existe pour cela. Et là où le corps s’adapte aux médicaments en s’y accoutumant petit à petit, il s’adapte à la plante en cherchant un nouvel équilibre, celui justement recherché par la cure.
Mais innover en la matière n’est pas sans tracas, loin de là. Le réglementaire n’est pas une mince affaire, mais le plus dur reste peut-être les idées préconçues de la santé : non, la santé n’est pas binaire, non un médicament simple et rapide n’est pas une réponse durable, non la santé n’est pas gratuite… et non, il n’est pas toujours nécessaire d’être à jeun pour faire une prise de sang !
Et au-delà des barrières, il s’agit en premier lieu de trouver son marché
En septembre 2020, nous nous sommes adressés aux professionnels de santé pour leur proposer un outil d’analyse et d’aide à la prise en charge préventive et personnalisée. Néanmoins, en constatant l’inertie et le poids des habitudes dans ce secteur, nous avons entrepris d’ouvrir d’autres portes. Et puisque les règles de la physiologie dépassent le cadre bien cloisonné du médical, et que les enjeux sociétaux expriment le besoin de mieux vieillir, mieux se nourrir et mieux travailler, nous avons aussi déployé une offre sur un deuxième domaine d’application : le bien-être. Nous nous adressons ainsi aux personnes en recherche de solutions préventives et naturelles en leur proposant d’établir leur profil métabolique et leur recommandant un programme personnalisé. Une démarche qui d’ailleurs n’est pas nécessairement égocentrique puisque qu’elle se trouve plébiscitée par nos clients pour des occasions comme la fête des mères ou Noël comme un geste d’attention envers les proches les plus chers.
Cette offre séduit également les entreprises soucieuses de la santé de leurs collaborateurs, ce qui fait que notre équipe se mobilise actuellement sur le lien entre les capacités d’adaptation et les principales préoccupations de santé en entreprise : les troubles musculosquelettiques et le burnout.
Le burnout, une réalité grandissante en entreprise
Bien que le burnout soit principalement d’origine mentale, il ne se retrouve pas aujourd’hui en si forte proportion en entreprise parce que nous sommes plus « fragiles » qu’avant. Quoi que. La faute n’est pas tant à mettre sur des individus mais plutôt sur un mode de vie et de travail qui n’a cessé de fragiliser notre capacité d’adaptation. Ces longues heures passées devant un écran, les yeux sollicités jusque tard le soir, le dos et le cou mal tenus, des repas trop rapides, la charge cognitive toujours plus augmentée par les écrans et les notifications… Si le fonctionnement du corps était symphonique, le nombre de ces fausses notes ne pourrait aboutir qu’à une insupportable cacophonie neuroendocrinienne. Ceci laisse en réalité toute la place au burnout pour s’exprimer après avoir encore davantage perturbé le fonctionnement nerveux et hormonal. Nous étudions d’ailleurs plusieurs formes de ces déséquilibres qui participent à la bascule vers un état symptomatique du burnout.
L’objectif est donc de détecter les prédispositions (parfois passagères) ou encore les prémices d’un syndrome de burnout, avant qu’il ne devienne délétère, et de chercher à mettre en œuvre une stratégie de prévention individualisée. Il est évident qu’une entreprise ne peut pas demander à l’ensemble de ses collaborateurs d’effectuer une séance de psychothérapie, et encore moins une prise de sang. Néanmoins, nous avons pu partager ce constat avec les acteurs de la santé en entreprise telles les ressources humaines, la médecine du travail et les mutuelles d’entreprise, et nous percevons ensemble le besoin évident d’ouvrir la voie à de nouvelles manières de concevoir une démarche de santé et de bien-être au travail.
La physiologie, alliée du sportif pour sa santé et sa performance
Par ailleurs, s’il existe bien un domaine qui s’intéresse à l’optimisation physiologique, c’est le monde du sport. Ainsi, nous préparons en collaboration avec des acteurs du sports (haut-niveau comme l’INSEP, universitaires comme le laboratoire MOVE à Poitiers, des clubs professionnels de Rugby ou de Foot) le déploiement d’une offre à destination de ce troisième domaine d’application : la dimension sportive. Un domaine que je ne connais que depuis mon expérience précédente avec des athlètes olympiques, mais qui exprime chaque jour davantage son besoin de mieux connaitre le fonctionnement individuel des sportifs et de mettre en œuvre des stratégies ciblées pour maximiser leurs chances de victoire.
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