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L'eau : un nouveau Luxe ?

Informations générales

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24/05/2023

Chaque trimestre, les revues de la Confédération des Associations Centraliennes et CentraleSupelec (CACCS) publient un dossier thématique commun.

L'Hippocampe 117 de mars 2023 aborde un sujet majeur : l'EAU et le thème est tellement vaste qu'il fait l'objet d'une seconde  partie dans le numéro suivant.

Parmi les nombreux contributeurs, Loïc BOURDIEC (ECLi 90) évoque le dessalement d'eau de mer :


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  A propos de Loïc BOURDIEC



Loïc BOURDIEC (ECLi90)



Loïc a toujours travaillé dans des entreprises du secteur de l'eau. Une première  expérience à la Saur lui permit de découvrir les chantiers puis les études chez Stereau (ex liale de Saur). En 1998, le  CEOM (aujourd'hui groupe Egis) l'a fait accéder à l'international avec des missions passionnantes dans des pays en voie de développement (Afrique, Asie). Il est depuis 2000 chez Veolia, au sein de sa liale Veolia Water Technologies : il a participé pendant 12 ans aux appels d'o res majeurs du groupe pour construire des usines de dessalement au Moyen-Orient et en Australie.


Le dessalement d'eau de mer

Une solution bien moins nocive qu'il n'y paraît pour répondre au problème du stress hydrique.

Un bref historique

Le dessalement d'eau de mer est une solution technique employée depuis plusieurs décennies pour subvenir au besoin crucial d'eau dans des régions en fort stress hydrique. Un cas très connu et qui date de presque soixante ans concerne les îles Canaries.

Archipel espagnol au large du Maroc, ces îles ont toujours souffert de ressources en eau douce insuffisantes. Peu de précipitations et une surexploitation des nappes aquifères ont obligé les autorités à intervenir pour empêcher que ces îles ne deviennent inhabitables. D'abord de nombreuses mesures conservatrices ont été prises, par exemple concernant le stockage de l'eau ou une utilisation rationnelle des ressources. Mais cela restait insuffisant. Dans les années 1960, trois usines de dessalement ont été construites sur les trois îles principales. Ces usines ont été conçues en utilisant le principe d'évaporation. Cette technologie étant très énergivore, dans les années 1980, de nouvelles usines plus efficaces utilisant des membranes ont été mises en œuvre.

Sans dessalement, les ressources en eau souterraines des îles auraient été épuisées, le développement économique, le niveau et la qualité de vie des habitants n'auraient pas été assurés. Aujourd'hui les nappes aquifères sont stables et protégées des entrées d'eau de mer. 70 % de l'eau consommée provient de la mer. Une forte proportion des eaux usées sont recyclées et complètent les besoins en eau en particulier pour l'agriculture, les espaces verts et les industries.

L'eau, une ressource vitale pour les nations 

Vous avez sûrement oublié... Dans les années 1990 de nombreux articles prédisaient une future guerre de l'eau. Une forte croissance économique, des pays sous-développés en plein essor économique, des populations en très forte augmentation, tout cela conjugué avec des ressources en eau douce se raréfiant, devait irrémédiablement nous conduire vers des conflits voire des guerres à travers le monde. On peut se souvenir des tensions au Moyen-Orient autour du fleuve Jourdain. Israël avait construit un aqueduc permettant de ponctionner les eaux du lac de Tibériade et de les détourner à leur profit. Ce qui fut à l'origine de très fortes tensions et pour certains une des causes de la guerre des Six Jours 

Où en est-on aujourd'hui ? Il n'est plus question de guerre en Israël à cause de l'eau. Pourtant c'est un pays dont plus de la moitié du territoire est désertique, fréquemment frappée par la sécheresse, mais devenu une nation qui produit aujourd'hui 20 % d'eau potable de plus que ses besoins. L'agriculture absorbant la majorité des besoins en eau, les autorités ont dû repenser tout le système de fonctionnement : mise en place de 230 bassins, économie, nouvelles méthodes… Ils ont inventé le goutte à goutte, qui permet d'économiser jusqu'à 90 % de l'eau d'irrigation (dans certaines conditions).

Si ces mesures étaient indispensables, elles ne suffisaient pas. Israël a alors développé le dessalement de l'eau de mer. Veolia, un des leaders mondiaux de cette technologie, a construit à Ashkelon une station de dessalement qui est restée longtemps la station la plus grande au monde utilisant la technologie membranaire, en produisant 300 000 m3 par jour d'eau douce… soit 120 piscines olympiques ! Israël a aujourd'hui construit de nombreuses usines et d'ici fin 2023, 90 % de l'eau consommée par le pays proviendra de la mer. 

À travers le monde

La demande en dessalement de l'eau de mer s'est envolée dans la décennie 2000-2010. C'est pendant cette période que la technique de dessalement par membrane (la plus économique) a été fiabilisée. En l'espace de dix ans cette capacité a été multipliée par six ! 

Technologie par évaporation

La première technologie est identique à celle employée par la nature pour nous procurer de l'eau douce : l'évaporation. Le soleil évapore chaque année 425 000 km3 d'eau, rien de comparable avec le dessalement effectué par l'homme. Et pourtant la mer ne devient pas plus salée… Bien sûr pour évaporer l'eau dans une usine, il n'est pas question de faire bouillir l'eau à 100 °C et de condenser la vapeur obtenue… Cela serait beaucoup trop énergivore. Le principe physique repris est le suivant : lorsque la pression baisse, le point d'ébullition de l'eau baisse. Au sommet de l'Everest, l'eau bout à 60 °C seulement. D'un point de vue industriel, le processus employé le plus efficace est la MED (Multiple Effect Distillation).

Usines de dessalement dans le monde.

Un évaporateur MED est constitué de plusieurs cellules consécutives maintenues à des niveaux décroissants de pression et de température. Chaque cellule est constituée d'un faisceau de tubes horizontaux. La vapeur de chauffage est introduite à l'intérieur des tubes de la première cellule. Le sommet du faisceau est aspergé d'eau de mer qui s'écoule de tube en tube par gravité (cf. schéma 1) et qui s'évapore partiellement au contact des tubes chauffés par la vapeur. En raison de l'évaporation, l'eau de mer se concentre légèrement en s'écoulant le long du faisceau pour former de la saumure au fond de la cellule. La vapeur produite par l'évaporation de l'eau de mer est à une température inférieure à celle de la vapeur de chauffage. Cependant, elle peut encore être utilisée comme moyen de chauffage dans la cellule suivante car la pression est abaissée. La diminution de la pression d'une cellule à l'autre permet de répéter le processus. 

La SIDEM filiale de Veolia Water Technologies est le leader mondial de cette technologie.

D'immenses usines utilisant cette technologie ont été construites essentiellement au Moyen Orient. Avec cette technologie MED, nous avons vu qu'il fallait disposer d'une vapeur de chauffe qui, s'il fallait la produire, demanderait beaucoup d'énergie. Or cette vapeur peut être récupérée à la sortie des turbines de production d'électricité qui se trouvent au Moyen Orient. Les usines de dessalement ont donc été combinées aux centrales électriques comme l'usine de Marafiq en Arabie Saoudite (Veolia – 800 000 m3/j d'eau produite). Mais même en récupérant l'énergie fatale (vapeur basse pression) de l'usine électrique contiguë qui serait perdue sans cette réutilisation, le rendement global des usines de dessalement basée sur la technologie d'évaporation reste médiocre.

Technologie d'osmose inverse

Une nouvelle technique a été mise en œuvre et popularisée surtout après les années 2000. Elle utilise des membranes dites d'osmose.

La membrane d'osmose inverse agit comme une barrière et empêche la majorité des sels dissous de passer. Le taux de rejet des sels dissous varie de 95 % à plus de 99 %, en fonction de facteurs tels que le type de membrane, la composition de l'alimentation, la température et la conception du système.

Une surface très importante de membrane est nécessaire pour filtrer une grande quantité d'eau de mer. C'est pourquoi les membranes sont enroulées sur elles-mêmes, l'eau filtrée étant collectée au centre par un tube perforé. Pour que l'eau passe à travers la membrane, il faut appliquer une forte pression de l'ordre de 60 à 70 bars, pression qui varie avec le niveau de salinité de l'eau de mer.

Coupe d'une membrane d'osmose enroulée

Schéma 1.
Schéma 2.


L'eau de mer balaye latéralement la membrane et environ 50 % passe à travers : c'est le perméat ou eau purifiée. Les sels, ne traversant pas la membrane, sont évacués avec l'eau de balayage non filtrée (les 50 % restants). Cette eau ensuite rejetée est dénommée le concentrat ou brine (terme anglais). Comme le sel est conservé dans le système, mais que le brine ne représente que 50 % du volume ponctionné dans la mer, la concentration en sel est deux fois plus importante. Dans certaines applications ce taux de 50 % peut être amélioré par une mise en série de systèmes de membranes.

C'est pendant les années 2000 à 2010 que cette technologie a été fiabilisée. D'une part par une amélioration de la qualité des membranes (plus résistantes, moins sujettes au colmatage) nécessitant une pression plus basse. D'autre part par une meilleure connaissance de l'eau de mer et des techniques de pré traitement à appliquer à l'eau de mer brute pour qu'elle puisse être suffisamment préparée et nettoyée pour pouvoir affronter les membranes d'osmose inverse sans les colmater. Aujourd'hui cette technique est totalement au point et du fait de sa faible consommation énergétique, sauf cas spécifique, tous les nouveaux projets municipaux de dessalement d'eau de mer utilisent cette technologie, l'évaporation n'étant plus utilisée.

Coût et consommation électrique

Un des principaux reproches fait par les détracteurs de cette technologie est qu'elle coûte cher et consomme beaucoup d'électricité. Au vu des chiffres, cette critique est discutable. Quand on parle de coût, il faut inclure le coût de construction, la mise en service, les coûts d'exploitation incluant l'électricité et de maintenance (renouvellement de membranes…). Le coût peut aussi inclure les frais de financement de l'investissement.

Quels sont les chiffres ? Les derniers projets de grosses infrastructures vendent leur production à un prix voisin de 0,5 dollars par mètre-cube, soit 5 centimes de dollar les cent litres ! Bien sûr, suivant la taille du projet, sa localisation, le prix peut varier. Mais aujourd'hui, avec les évolutions technologiques, les coûts sont très attractifs.

Usine membranaire de Sydney en Australie, construite par Veolia. Production de

250 000 m3/jour.

LES PERTES DU RÉSEAU DE DISTRIBUTION D'EAU

Un des points souvent relevé dans la presse est le taux de fuite dans nos réseaux de distribution. Avec cet été un ton alarmiste dans les journaux, nous pouvions lire que la pénurie d'eau actuelle dans nos communes provenait en partie des 20 % d'eau perdue dans les réseaux. 20 % oui cela paraît beaucoup, et le public non averti a rapidement crié au loup et critiqué les sociétés responsables de l'entretien des réseaux. Ce qu'omettent de dire les journaux, c'est qu'il est impossible d'avoir un réseau étanche à 100 %, qu'un très bon taux national serait de 85 % (soit 15 % de pertes) et 90 % serait excellent (soit 10 % de pertes). Il faut aussi ajouter que nous avons en France 895 000 km de réseaux d'eau potable et qu'aller chercher ces quelques pourcents coûte non pas quelques milliards d'euros mais des dizaines de milliards d'euros voir plus. Il ne faut pas non plus oublier de dire que la France fait mieux que nombre de pays dont l'Angleterre, l'Italie (35 % de perte). Donc quand une collectivité cherche une solution pour résoudre le stress hydrique, elle recherche un panel de solutions environnementalement favorables tout en considérant les moyens limités qu'elle peut avoir. 


La consommation électrique est devenue tout à fait correcte, car pour produire 1 000 l d'eau douce il faut environ 3 kWh, soit approximativement la même puissance qu'un climatiseur de salon qui fonctionne durant une heure. Si l'eau potable est nécessaire à la vie, le climatiseur en général c'est pour le confort.

Si les pays dit riches ont été les premiers à profiter de cette technologie, ce type d'installation est aujourd'hui plébiscité par des pays en stress hydrique un peu partout dans le monde. Il reste vrai que les pays pauvres sont sous équipés, mais il en est de même malheureusement pour les hôpitaux, les routes ou toute infrastructure importante.

Rejet en mer

La faune et la flore sont-elles impactées par le rejet du brine qui est deux fois plus salé que l'eau de mer ? Si on se réfère à Wikipédia, « les rejets d'effluents très chargés en sel dans la mer d'Arabie ont fait exploser le taux de salinité de ses eaux ; dans certaines zones, les fonds marins sont devenus des déserts ». Cette phrase est extraite d'un article de journal de 2016. Cependant, il n'y a pas d'études documentées qui appuient cette affirmation et la particularité de la mer du golfe arabo-persique est qu'elle est semi-fermée, ne communiquant avec l'océan Indien que par le fin détroit d'Ormuz. Or la puissance d'évaporation du soleil fait que cette mer est bien plus salée naturellement surtout au fond du golfe, loin du détroit (45 g/l).  En comparaison, la mer du Nord a un taux de salinité de 34 g/l et la mer Méditerranée (plus ensoleillée) de 36 g/l à 39 g/l.

Dans un système ouvert, l'augmentation de salinité ne peut être que locale et il apparaît même que les chercheurs australiens ont démontré (étude à l'appui) que la vie sous-marine était stimulée localement. Une étude des Nations unies met en avant les quantités importantes de rejet de brine au niveau mondial. Mais ces rejets sont répartis entre des milliers d'usines dans le monde.

Tordons le cou à quelques critiques

Des solutions plus protectrices de l'environnement ne sont-elles pas envisagées ?

Les collectivités en stress hydrique n'ont pas attendu la prise de conscience du changement du climat pour trouver des solutions portant sur l'économie des ressources, comme la gestion des stockages, la qualité du réseau de distribution (voir cadre), l'irrigation goutte à gouttes… mais, malgré toutes ces mesures étudiées, il reste parfois nécessaire de construire une installation de dessalement.

L'eau produite est-elle dangereuse pour la santé (disrupteurs endocriniens…) ?

Cela n'est pas possible du fait de la nature du traitement. Les membranes ne peuvent pas laisser passer de telles molécules qui d'ailleurs ne sont pas présentes dans la mer (sauf pollution très importante).

Des produits nocifs sont-ils rejetés en mer ?

Le produit utilisé pour le pré traitement de l'eau brute est le chlorure ferrique. Ce produit est très commun dans l'industrie et est aussi utilisé dans la quasi-totalité des stations d'épuration. Les produits qui empêchent les membranes de se colmater, les antiscalants, sont aujourd'hui pour la plupart biodégradables et leur dosage est peu important. Enfin viennent les produits pour nettoyer les membranes. Ce sont soit des solutions acides ou soit des solutions basiques largement aussi employées dans toutes les industries, solutions qui sont neutralisées avant rejet.

Conclusion

Selon des estimations récentes, 40 % de la population mondiale est confrontée à une grave pénurie d'eau, et cette proportion atteindra 60 % en 2025. En outre, les deux tiers de la population mondiale vivent actuellement dans des conditions de pénurie d'eau pendant au moins un mois par an. Les techniques de dessalement ont beaucoup progressé ces dernières années et sont un des moyens essentiels pour atténuer cette grave pénurie. D'autres technologies permettant de diminuer le stress hydrique se développent en parallèle comme la réutilisation des eaux usées, chaque technologie ayant ses avantages et ses inconvénients.    

1. www.abc.net.au/news/2019-12-19/sydney- desalination-plant-discharge-boosts-fish-num- bers/11811650


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Article extrait de l'Hippocampe 117 de mars 2023


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